Sasung (1) Léo Catright est décédé au début du mois de Novembre des suites d’une longue maladie. Expert estimé, combattant redouté, enseignant impeccable, il n’avait pourtant jamais cherché à figer son art pour mieux exploiter sa notoriété. Chercheur et créateur avant tout, comme d’autres en sciences ou en histoire, il n’avait d’autre but que de s’approcher au plus près d’une vérité capable de transformer l’homme. Trajectoire d’un homme singulier devenu septième degré2.
Il est né au Cap-haïtien dans une famille de bonne renommée et a grandi dans les quartiers de Carénage. Un quartier avec plusieurs blocs de rues qui présente des particularités. Enfant, il écoutait sur les genoux de sa mère des histoires pour enfants, il apprendra les rudiments de la lecture, de l’écriture et du calcul chez les frères de l’instruction chrétienne. Puis, les récits des poètes de la littérature française, haïtienne et les sciences sociales au lycée Philippe Guerrier. Après la philo, il se rend à Port-au-prince pour être diplômé comme ingénieur.
Les transformations physiologiques de l’adolescence s’imposent au jeune Leo à son corps défendant.
Sous le régime de François Duvalier. Si la croissance qu’il subit en ces temps là échappe à son contrôle, n’en parlons pas de son statut au sein du lien social; il est de la famille Catrigh dans une ville où les traditions étaient fortes. A cet âge, Léo va vivre dans son quartier les violences meurtrières des partisans d’un régime tyrannique et la répression organisée, systématique, massive du macoutisme. Des actes de sauvagerie individuelle à l’encontre d’ennemis ne manquent pas, avec leur cortège de mutilations et d’acharnement sur les corps. Cette situation toucha Léo à cause de sa vulnérabilité comme adolescent. Le pire, un mauvais garnement proche parent s’associe aux sbires qui sèment la terreur. Ceci provoque un traumatisme chez lui. Aussi toute la famille Catrigh de bonne réputation s’éloigne de toute vie en complète harmonie à cause de ce parent. Si les histoires de grandes familles composées des gens bien depuis le temps du roi bâtisseur était une référence sur la présidence de François Duvalier, le modèle de famille déchirée devient une culture véhiculée dans de nombreuses maisons.

Léo depuis enfant était un grand timide, la question du regard des autres à l’école et dans la rue à cause de ce parent provoque un repli sur lui-même. Il se libère que dans la maison familiale. Avec ses nombreux frères et sœurs, il se plait à se livrer au jeu de bataille. Ils entrent en contact physique entre eux sans l’utilisation d’aucun objet. Ils jouent à la lutte, se poussent, s’agrippent, se bousculent et se poursuivent, des jeux sains pour s’amuser. Ces jeux apportent de réels bienfaits à Léo. Mais à l’école et dans la rue, Léo comme tout petit doit apprendre à faire face à de vraies batailles courtes et intenses ou des signes de colère sont visibles, causées généralement par des conflits. Ces combats exigent un gagnant et un perdant, les coups se donnent pour faire mal, gagner à tout prix est l’objectif. A la fin, le perdant se faire ridiculiser par les autres, il ressent de la déception. Notre Léo était déjà un gamin timide. Alors que faire? Léo va apprendre l’art du combat dans les salles de dojo dès l’âge de 13 ans, afin de pouvoir réagir aux déceptions ainsi que de surmonter les obstacles et les adversités. Il commence par faire le karaté japonais et en un rien de temps, il va découvrir le tae Kwon do avec son copain Jean-Claude Magny qui devient son professeur. En pratiquant l’art martial Coréen original l’itf, rapidement il devient bon. Dans la rue, il ne ressent plus les regards des autres pesés sur lui, il devient enfin libre. Il a beaucoup travaillé. Il faisait plus de cents coups de pieds à chaque entraînement. Il développe sa musculature et combattait beaucoup, il répondait au défi qu’on le lançait au point que le professeur Magny lui encourage de fonder son école dans la ville.
Parmi ses premiers élèves, il y avait Mathieu Eugène, Charles Nicolas, James Georges, Curtis Roker( mon grand cousin décédé), mon petit frère Steeves (Vito) Jean-Mary décédé et moi.
Dès l’instant qu’on pénètre le Dojan3 on perçoit une noblesse adorable. La pratique du Tae Kwon do avec maître Léo en ce temps, inscrivît l’entraînement dans un contexte ritualisé par un cérémonial qui confère des valeurs fortes réaffirmées à chaque cours: les commandements de salut qui consistent à saluer le drapeau coréen et le drapeau haïtien en mettant la main sur le cœur, ensuite, nous nous alignons devant maître Léo par grade décroissant, les ceintures blanches devant et les plus gradés derrière. Maître Léo vérifie les ténues admises en Tae Kwon do et n’accepte aucune dérogation aux usages ancestraux coréens. Le dobok4 est de rigueur. Blanc, il reste fermé par une ceinture de couleur. Au moment de la fin, le dobok doit être bien réajusté pour offrir une image lisse qui annihile l’effort réalisé. Léo est pour moi un grand maître en Tae Kwon do. Tout d’abord, il transpirait la valeur primaire de l’art martial coréen, le RESPECT. Il était toujours respectueux en tout temps et en toute occasion. Il maîtrisait ses émotions. Il était facilement approchable et bon communicateur, c’était facilement détectable à chaque échange verbale. Il transmettait avec aisance des connaissances millénaires et de valeurs de vie convenablement à chaque élève. Il s’adaptait à chaque tranche d’âge et de capacité physique différente. Il avait une approche pour mon petit frère et moi qui avions 6 et 8 ans, une autre pour les adolescents Loly Nicoleau et Guyto Regis qui étaient différentes de celles qu’il entretenait avec les plus grands. Chaque élève évolue avec une meilleure approche et technique possible. Il suivait le cheminement de chacun de nous avec attention. Il était un professeur créatif et motivant. Chaque entraînement avait une touche qui ne ressemble pas au cours antérieur. Certes, plusieurs exercices se répétaient, mais il ajoute toujours un minimum de créativité nécessaire pour conserver notre motivation.
En laissant sa ville pour poursuivre des études universitaires à Port-au-Prince, il symbolise à lui tout seul l’organisation du Tae Kwon do. Il délaisse l’art martial originel itf pour se verser dans le sport de combat. Il conservera certes la philosophie de l’art martial. Mais, il enlève certaines techniques à l’entraînement pour se conformer aux règles applicables dans les compétitions au niveau olympique. Il développe le Tae Kwon do dans le sud et l’artibonite, il crée la fédération de Tae Kwon do qui est membre du comité olympique haïtien. Il formera plusieurs ceintures noires, ses élèves remportent des titres internationaux et une participation au jeu olympique en 2004.
Je suis vraiment fier d’avoir connu cet homme exceptionnel par son savoir-vivre et son sens élevé d’humanisme. Maître Léo Catright était un de ces grands hommes, alors j’invite tous ses anciens élèves à travailler pour former des fils et des filles au grand cœur comme maître Léo qui avait oeuvré pour le bien être des autres. Que chaque taekwondiste emboîte le pas de Maître Léo.
Va en paix mon dévoué maître.
Stanley Jean-Mary (Doudy)
1 – Sasung est l’avant dernier titre en maître en Tae Kwon do. Le préfixe sa veut dire professeur en coréen et le suffixe sung est lié à sagesse.
2 – Septième degré est équivalent à septième dan.
3 – Dojan: salle d’entraînement. En karaté on dit dojo qui est japonais.
4 – Dobok en coréen et kimono en japonais.